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Offensive contre le Code du Travail : nous sommes en 1775…

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Rosa Llorens

code du travailDans Le Monde Diplomatique de novembre, Gilles Balbastre, co-auteur des Nouveaux Chiens de garde, en 2012, revient sur les attaques contre « la rigidité du Code du Travail » et les initiatives, de droite comme de « gauche », pour le détricoter, qui se succèdent depuis 1980. Mais il faut remonter plus loin.

La France a déjà connu une période d’offensive massive, de la part des élites, économiques et médiatico-intellectuelles, contre toute forme de réglementation de l’économie et du travail : c’était au XVIIIème siècle, et les publicistes libéraux d’alors s’auto-proclamaient « Philosophes » (selon la logique bien connue du TINA : la Raison veut qu’on déréglemente…). Ce terme mystificateur, les programmes de lettres de l’Education Nationale prennent bien garde de l’éclairer. Pourtant, cette « Philosophie » a, au XVIIIème siècle, un sens très précis : elle désigne la théorie libérale anglaise (cf cette oeuvre de  Voltaire au curieux titre double : Les Lettres Philosophiques OU Lettres Anglaises, de 1734), dont on aime à retenir le volet politique (attaques contre l’absolutisme, contre le pouvoir de l’Eglise), mais dont on oublie le volet principal, ou plutôt le socle, le libéralisme économique.

Le socle en effet : le XVIIIème siècle n’est pas celui de la liberté (Michel Foucault, en présentant, dans son Histoire de la folie, l’âge de la raison comme celui du grand renfermement, a fait justice de ce cliché) mais de l’utilitarisme ; on sait que les attaques des Philosophes contre l’absolutisme sont contre-balancées par leur admiration pour le despotisme éclairé (et les despotes éclairés comme Frédéric de Prusse). Mais qu’est-ce que ce régime ? « Un régime autoritaire éclairé par la Raison qui a pour but le bien du peuple », selon l’antienne récitée dans les classes du BAC ; que peut bien valoir pareille définition en sciences politiques ? En fait, le despotisme éclairé, c’est le pouvoir absolu mis au service du développement économique et des entrepreneurs. Il suffit ainsi de remonter aux « Philosophes » pour se rendre compte qu’il n’y a aucune opposition entre libéralisme économique et autoritarisme politique : si les entrepreneurs privés sont déjà au pouvoir, comme en Angleterre au XVIIIème siècle, la démocratie oligarchique peut fonctionner, si l’économie du pays n’est pas assez développée, comme en Prusse ou en Russie (ou en Chine au XXème siècle), le despotisme éclairé imposera les réformes qui donneront le pouvoir aux entrepreneurs.

Pour les « Philosophes », tout doit donc être mis au service du développement économique : si Voltaire centre ses attaques sur l’Eglise, c’est qu’elle constitue un frein à ce développement, à la fois par sa morale (ascétisme catholique contre culte protestant du travail et du succès économique) et par sa liturgie qui fait se succéder les fêtes, c’est-à-dire les jours fériés, et fait, chaque semaine, du dimanche le Jour du Seigneur, c’est-à-dire un jour chômé ( que la Révolution française, révolution libérale, essaiera de supprimer en le remplaçant par le décadi qui, dans le calendrier révolutionnaire, avait l’avantage de ne revenir que tous les 10 jours !).

En 1766, déjà, Voltaire s’attaque au repos dominical, dans un pamphlet d’apparence anti-clérical, dont l’enjeu est en fait très concrètement économique : prenant prétexte de la canonisation de Saint Cucufin, il le fait apparaître pour lui attribuer une profession de foi productiviste : « on ne peut mieux honorer les saints qu’en cultivant la terre », « au lieu d’aller boire au cabaret les jours de fête après la sainte messe. » Où l’on voit que ce qui gêne le plus Voltaire, ce n’est pas la messe (lui-même, dans son domaine féodal de Ferney, conduisait ses paysans à la messe le dimanche, dans un souci d’ordre social), mais les heures de loisir que, dans son idée (et dans celle des capitalistes du XIXème siècle) paysans et ouvriers sont incapables de remplir autrement qu’en allant se soûler à la taverne.

De même, dans l’Encyclopédie, les manuels aiment mettre en avant les rubriques politiques et religieuses, et tendent à oublier les rubriques économiques : Bas (métier à bas), Forges, Grains, Industrie …Mais inutile de lire les 17 volumes de l’Encyclopédie : rien n’est aussi éclairant qu’une petite Lettre de Voltaire, datée de 1775,  à l’abbé Baudeau, dont le journal, Les Nouvelles Ephémérides économistes, soutenait les réformes libérales (déjà !) de Turgot (dont la déréglementation du commerce des grains, en 1774, avait provoqué les famines, jacqueries et répressions connues sous le nom de Guerre des farines). Voltaire raconte comment un philanthrope éclairé (lui-même, dans son domaine de Ferney !) a fait, d’un « repaire de 40 sauvages », « une petite ville opulente, habitée par douze cents personnes utiles », grâce à un seul remède miracle : la suppression de toutes les « entraves » au travail, toutes les « lois ridicules inventées pour opprimer les arts » (au sens de : arts et métiers, c’est-à-dire la production). « Entraves », « lois ridicules », c’est ainsi qu’il désigne cette réglementation du travail et de la production représentée sous l’Ancien Régime par les corporations (qui seront supprimées par la Révolution, en 1791, ainsi que le droit d’association des travailleurs, ainsi livrés sans entraves à l’arbitraire des entrepreneurs). Remède miracle en effet, puisque la suppression de la réglementation du travail a, selon lui, éradiqué non seulement la pauvreté, mais même les écrouelles qui dévoraient ses quarante sauvages, maladie que les Rois de France avaient le pouvoir (conféré par le sacre à Reims) de guérir. Voici donc Voltaire non seulement philanthrope mais même thaumaturge ! (ne l’appelait-on pas « le roi de Ferney »?).

Ajoutons que si Voltaire, en développant la production des bas et des montres à Ferney, a pu ainsi supprimer les lois qui régissaient le travail en France, c’est grâce à la position de Ferney, presque à cheval sur la frontière entre la France et Genève, qui en fait la première zone maquiladora connue.

On commence à se rendre compte que, contrairement à la naïve vision du progrès, la politique de partage des fruits du travail entre capitalistes et travailleurs qui a marqué le XXème siècle jusqu’en 1973 et surtout 1989 n’aura été qu’une brève embellie dans la longue histoire du capitalisme sauvage.

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